L’espoir d’une Haïti différente: Justin Viard et Stéphanie Villedrouin

Les dures réalités dont fait face Haïti sont difficiles à ignorer: grande pauvreté, équipements insuffisants, infrastructures en ruines, aggravées par le tremblement de terre dévastateur en 2010, suivi d’un niveau de famine alarmant, de maladie et de criminalité. Mais la création et la reconstruction existent aussi, à travers les initiatives des responsables gouvernementaux et des dirigeants des communautés de la diaspora haïtienne, qui soutiennent qu’Haïti est ouverte aux affaires.

Justin Viard, Consul général de la République d’Haïti à Montreal, est à la tête d’une initiative pour stimuler la relance économique. Son rôle : accompagner les professionnels canadiens qui désirent s’impliquer dans le développement des affaires en Haïti à travers des entités tel le Centre de facilitation des investissements officiel du gouvernement haïtien (CFI). Son objectif : un changement favorable suite aux bévues du gouvernement antérieur qui a littéralement porté le pays dans une stagnation économique. Son message aux investisseurs canadiens et étrangers? Croyez en Haïti et en son plein potentiel.

Tandis que Viard travaille à faciliter l’afflux de capitaux, Stéphanie Villedrouin, elle, concentre ses efforts en tourisme et voyage, ce secteur ayant été reconnu comme étant essentiel à une reprise économique par les dirigeants mondiaux du G20. En tant que ministre du Tourisme en Haïti, elle prône les plages magnifiques, les chutes d’eau, les sports d’aventures, les restaurants internationaux, les boutiques hôtels, comme mesures incitatives pour inviter les jeunes professionnels canadiens à expérimenter la richesse de la musique, de la culture, du patrimoine et de sa beauté naturelle.

Comme dans toute reprise ou révolution, le changement commence par la jeunesse. Viard et Villedrouin sont des exemples éloquents de ce changement de direction amorcé depuis l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement relativement nouveau, et il est de leur responsabilité de démontrer aux autres jeunes combien leur pays a le potentiel de devenir une destination majeure des Caraïbes.

Nous nous sommes entretenus avec Viard et Villedrouin afin de discuter de leurs efforts, de l’espoir pour Haïti et de la façon dont les jeunes professionnels canadiens peuvent collaborer à dépeindre le portrait toujours négatif projeté dans les médias.

Justin Viard, Consul général de la République de Haïti à Montreal (en haut à droite, à l’événement Je Love Haiti à Montreal le 9 janvier 2013. Photo par Darwin Doleyres)

Avant votre nomination au poste de consul général, de quelle façon désiriez-vous diffuser une image plus réaliste d’Haïti? Avant d’être nommé Consul général, j’étais avocat et professeur à l’université (en droit des affaires, droit international des affaires et dans le secteur bancaire). Plus tard, je suis devenu directeur régional d’une banque. Dans chacun de ces postes, j’ai toujours fait de mon mieux pour aider les gens à réaliser leurs rêves (par l’enseignement et par l’intermédiaire de conseils financiers). La meilleure solution pour façonner l’image d’Haïti est de donner à son peuple tous les outils nécessaires pour réussir. “Impossible” n’existe pas. Vous savez ce qu’on dit: “si vous pouvez le rêver, vous pouvez le devenir »… aussi longtemps que vous êtes prêt à travailler pour y arriver.

Quelle a été votre première réalisation importante dans ce mandat? Très tôt dans mon mandat, j’ai mis en place des missions commerciales en Haïti, composées de membres de la communauté des affaires canadienne, dont la plupart étaient d’origine haïtienne. Il était important pour moi d’obtenir leur implication et de leur faire comprendre que «Haïti est ouverte aux affaires.” Avec les membres de la diaspora à bord, il était plus facile de se rapprocher des gens d’affaires canadiens par la suite.

Qu’est-ce qui vous dérange le plus dans la perception générale que les gens ont d’Haïti ? Les gens ont des préjugés envers Haïti, par rapport à ce que certains médias véhiculent, telles les images constantes de dévastation. Oui, il y a eu une dévastation en Haïti, mais maintenant, ils sont en phase création et reconstruction. Les choses bougent. Je souhaiterais voir plus d’images de ce qui fonctionne et de ce qui est beau en Haïti; comme nos attraits touristiques, l’art et nos artisans, notre tout nouveau campus universitaire dans le Nord, notre nouveau parc industriel de Caracol, nos monuments historiques et ainsi de suite.

haiti

Depuis le tremblement de terre dévastateur, comment les jeunes ont-ils contribué à la reconstruction et a amélioré le sort du pays? Ce fut agréable de voir des membres de la diaspora appartenant à la 2e et 3e génération, prendre part à la reconstruction. Ils partagent leurs connaissances et leurs créativités dans les efforts de reconstruction. J’ai été impressionné par les nombreuses initiatives pour refaire l’image – des efforts de la Jeune Chambre de commerce haïtienne de Montreal à l’événement Je Love Haïti qui s’est tenu à Montreal en janvier dernier, qui sera désormais un rendez-vous annuel.

Quels sont les programmes / opportunités pour les jeunes professionnels qui souhaitent jouer un rôle actif et positif pour Haïti? Le gouvernement a diverses mesures incitatives pour faciliter les nouveaux investisseurs, telles que des exonérations fiscales s’étalant jusqu’à 15 ans, ainsi que des entités telle la CFI pour aider à accompagner les investisseurs dans le développement de nouveaux projets en Haïti. Et, en tant que consul général, c’est mon rôle d’accompagner les professionnels canadiens intéressés à participer au développement des affaires en Haïti.

Quel objectif vous êtes-vous fixé pour 2013? De centraliser des investissements importants en Haïti et par conséquent créer plus d’emplois; de contrer le chômage est l’un des plus grands défis pour notre pays.

Quel message souhaitez-vous envoyer à la jeune génération d’haïtiens dans l’optique de créer un avenir positif? Pour paraphraser Henri Poincaré: « aucun moyen n’existe pour démontrer que rien n’est impossible” s’ils ont une idée ou un rêve pour Haïti, rien ne devrait les empêcher d’en faire une réalité.

Quel rôle le Canada et les investisseurs étrangers peuvent-ils jouer dans le but d’assurer un avenir prospère pour Haïti, socialement et économiquement? Croire en Haïti et à son plein potentiel.

haiti

Stéphanie Villedrouin, ministre du Tourisme en Haïti (En haut à gauche et au-dessus, lors de l’événement Je Love Haiti à Montreal, le 9 janvier 2013. Photo par Darwin Doleyres):

Quelle a été l’inspiration derrière ce choix de carrière? J’ai toujours été guidée par le désir de travailler pour mon pays. Comme vous le savez, Haïti était une destination phare des Caraïbes dans les années 80. J’ai étudié en tourisme et hôtellerie en sachant très bien qu’il était possible de revenir à un marché touristique prospère. 

Comment le rôle du ministre du Tourisme en Haïti a-t-il changé depuis le tremblement de terre dévastateur en 2010? Le rôle du ministre du Tourisme en Haïti n’a pas changé à cause du séisme, il a changé parce que le gouvernement en place croit fortement que le tourisme est un moteur économique capital pour l’avenir d’Haïti et des Haïtiens, grâce à l’emploi et aux investissements générés.

Quelle est l’importance du tourisme dans un pays dont l’économie est dans une telle lutte constante? Il est l’un des facteurs les plus importants. En 2012, les dirigeants mondiaux du G20 ont reconnu l’importance des voyages et du tourisme en tant que moteur de l’emploi, de la croissance et de la reprise économique pour la première fois. Et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) affirme que «le tourisme est l’une des principales activités économiques des petits États insulaires en voie de développement”.

Un nouveau rapport de l’OMT (Organisation mondiale du tourisme) a été fait à l’occasion de la Conférence sur le développement durable tenue par les Nations Unies (RIO+20), qui confirme que le tourisme est une source capitale d’emplois, de subsistance, de devises étrangères et de croissance inclusive pour ces pays. Haïti a le potentiel d’attirer des visiteurs, et cette industrie pourrait être l’une des sources les plus importantes d’emplois et de richesses pour les jeunes haïtiens.

Quel rôle les jeunes jouent-ils dans l’évolution de la perception globale d’Haïti en tant que destination de voyage? Pour nous, les jeunes sont la clé pour transformer Haïti. Pour cette raison, l’un des piliers de notre action politique est d’améliorer l’éducation et la formation dans le secteur du tourisme et de l’hospitalité: c’est pourquoi nous avons rouvert l’école hôtelière haïtienne, où nous sommes à implanter un nouveau programme grâce à la collaboration de l’ITHQ (Institut du Tourisme et d’Hôtellerie du Québec).

Notre objectif pour l’année 2013 est d’ouvrir une autre école dans le Sud et de commencer à construire une nouvelle école à Port-au-Prince. Les jeunes pourront ainsi trouver un emploi dans le secteur du tourisme et se créer un avenir. La jeunesse est la force de travail dont nous avons besoin, c’est pourquoi ils doivent comprendre que notre pays a la richesse d’être une destination touristique dominante des Caraïbes, et que nous avons besoin d’eux pour atteindre cet objectif.

Que dites-vous aux jeunes professionnels qui n’ont jamais considéré Haïti comme une destination vacances? Je leur conseille de venir découvrir ce pays étonnant et authentique. Ils seront surpris de constater qu’Haïti n’est pas ce que les médias projettent, au contraire, ils pourront vivre une expérience unique dans ce pays moins connu des Caraïbes. Nous avons des plages immaculées, des cascades, des sports d’aventures, des restaurants et des boutiques hôtels internationaux, ainsi qu’une musique, une culture et un patrimoine riches. Alors, pourquoi ne pas nous rendre visite et en faire l’expérience?

Quels sont quelques-uns des forfaits dont les visiteurs pourront bénéficier en 2013? En partance du Canada, en raison de notre entente avec Transat, les Canadiens et Haïtiens de la diaspora auront le loisir de se rendre en Haïti tous les mois. Le forfait actuel comprend deux jours à Port-au-Prince et à la Côte des Arcadins, une région bordée de belles plages et de montagnes à moins d’une heure de la Capitale.

Quels ont été les plus grands défis à relever en tant que ministre du Tourisme en Haïti? Quels obstacles entrevoyez-vous dans un avenir rapproché? Le plus grand défi est de changer la façon dont est perçu Haïti dans le monde. Nous avons un long chemin à parcourir pour changer cette perception, mais Haïti a tant de beautés et de loisirs à offrir, nous devons mettre un terme à cette image négative de notre pays bien-aimé. Notre stratégie consiste à attirer les Haïtiens vivant à l’étranger, afin qu’ils puissent devenir des ambassadeurs hors pair et inviter le monde entier à visiter l’âme des Caraïbes. 

Je n’aime pas parler d’obstacles, mais bien de solutions. Comme je l’ai dit, nous avons beaucoup de pain sur la planche, mais nous avons l’énergie et l’appui politique de faire de notre mieux afin d’atteindre la majorité des objectifs que le Président Michel J. Martelly a définis pour notre pays.

Quelle a été votre plus grande réalisation depuis le début de votre mandat au poste de ministre du Tourisme? Je ne peux en nommer qu’un seul, puisque chacun des objectifs atteints est une petite victoire en soi. Je pourrais par exemple mentionner la réouverture de l’École hôtelière haïtienne, le forfait voyage négocié avec Transat, notre nouveau logo et slogan (Haïti, vivez l’expérience!), notre premier guide de tourisme officiel, l’ouverture d’un nouveau terminal à l’aéroport (une réalisation gouvernementale) ou la visite du Secrétaire général de l’Organisation mondiale du tourisme en Haïti, après une absence de 14 ans de cette plus haute autorité du tourisme au monde.

Quel rôle le Canada peut-il jouer afin d’assurer un avenir plus prospère socialement et économiquement en Haïti? Le Canada est un acteur central pour redorer l’image d’Haïti. Dans les années 80-90, il y avait beaucoup de touristes canadiens en Haïti. La communauté haïtienne est aussi très importante au Canada, étant unie par la langue française. Les médias canadiens et le gouvernement peuvent contribuer à construire un avenir radieux pour Haïti en véhiculant des messages positifs sur notre pays et en faisant voir la face cachée d’Haïti.

Adaptation française par Stéphanie Bertrand

Seconde photo gracieuseté de Alexandre De Bellefeuille